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A toi, Pyrène

I

 


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Ami,

Tu connais un peu mieux nos si belles montagnes ;

Animé de la flamme encor toute brûlante

De celui qui voudrait, entre France et Espagne,

Percer le secret de celle pour qui l’on chante.

 


Tu vois bien que partout, dans chaque mélodie,

Ou quelque ballade que l’on entend au loin,

Sifflotée des bergers, ou d’un chœur, psalmodie,

La même peine hante, inspire ces refrains.

 

 

 


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 Près du feu, près du ciel, du soleil et des dieux,

La montagne invite à combler sa solitude.

Les bergers réunis chantent et peuplent ces lieux,

Amphithéâtres verts, vibrants de lassitude.

 


Pourquoi donc Pyrénées portez-vous la douleur

D’une peine oubliée, et pourquoi ces cœurs lourds ?

Dévoilons leurs tourments, demandons aux chanteurs.

Curieuse mélodie, curieux chagrin d’amour !

 

 

 


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Une oreille à l’écoute entendra le poème

Qu’aujourd’hui je chante. J’ouvre le portillon

Du jardin du secret. Attendez pour le thème

De l’histoire, on y vient, c’est une introduction. 

 

 

 




II


Tragédie survenue aux époques lointaines,

On ne peut que chanter ou pleurer le doux nom

De la fille d’Amour, son enfant est Pyrène :

Blessure gravée dans l’âme de ceux des monts.

 


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Passant par le Couserans, ami, prend bien garde.

Le pays de Tarascon abrite l’immense

Grotte de Lombrives. Comme moi sens, regarde

Cette cave glacée qui accueille en silence

 


Le berger égaré et les fols amoureux.

Effrayante paroi percée d’une mâchoire

Rouge d’obscurité. Voyage douloureux !

Lombrives t’engloutit, plongeant tout dans le noir.

 


Seulement tu comprends dans les froides ténèbres

Que Pyrène est la muse des Pyrénéens.

Tu es dans le tombeau de la belle, célèbre,

Pleurée des basques aux méditerranéens.



III

 

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Retournons dans le temps. De l’Olympe les dieux

Gouvernaient les vivants : époque de héros.

La Gaule, l’Hispanie n’existaient pas aux yeux

Des marchands, des marcheurs, aux yeux des généraux.

 

 





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 La barrière sacrée ne barrait pas grand-chose.

Il n’y avait rien (pas même un monticule).

Un chasseur égaré dans le lys, dans la rose,

Était fort, était fier : son nom était Hercule.

 


Vibrante jeunesse du fils du roi des dieux,

Consacrée à la chasse, aux voyages, à la guerre.

Hercule adolescent traquait donc en ces lieux

Quelque enfant de Ladon aux canines de fer.

 

 

Soudainement voici au détour du chemin

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Apparaître un palais. Son Seigneur l’interpelle :

« Bel Hercule, dînez, et repartez demain,

Profitez d’un repos, écoutez mon appel ! »

 

 

Héraclès à ces mots se laisse amadouer.

Un bon lit, un festin, pour panser ses blessures

Voilà une occasion ! Et son hôte est doué

D’un foyer dont la fille est la suave parure.



 

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Pyrène ! Source au rire cristallin, cascade

Aux reflets blonds : ses cheveux, sur un buste de maître.

Fraîche beauté aux yeux clairs, limpide, dryade,

Muse...cessons. Que de talents faut-il omettre

 

 

Si je souhaite poursuivre le cours de mon histoire !

Retenons seulement ces quelques qualités :

C’est qu’elle donnait un sens aux choses dérisoires

et ranimait tous ceux que la vie eut quitté. 


 

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Se peut-il que celui qui sera le vainqueur

Du lion de Némée, le dompteur de Cerbère

N’ait revêtu l’armure qui protège le cœur ?

Première blessure due à de trop beaux yeux verts !

 

  

Chaque homme garde en lui la clef de sa défaite.

Malgré Gloire et Honneur, malgré fortune et biens,

Le cadet d’Alcmène devint la marionnette

D’amour en un éclair, foi d’académicien.


 


 

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Pyrène en servant attablé l’enfant de Thèbes

Ressentit ce que femme ressent au grand jour.

Et la lune écarlate tut ce que l’éphèbe

Chuchota à la douce :

 

elle connut l’amour.


 










IV



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Tragédie, acte II, les rouages s’enclenchent.

Se peut-il que Héra cherche encore malheur

Au tout jeune amoureux ? Pour prendre sa revanche

Sur Zeus ; volage, pour de coupables heures ? 

 

 

Vint alors poindre l’aube et le char d’Apollon

S’élança flamboyant, partant en cavalcade

Et vit partir Hercule au pas sûr, au pas long,

Pour tuer un faisan par une estafilade ;


 

Et offrir ses atours, ses plumes océanes,

En présent à Pyrène. Il est bien romantique

Notre futur guerrier ! De son dur cœur émane

Un poème. Pour elle, pour eux deux : l’aube fut magnifique.

 


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Et pourtant Hercule que n’as-tu patienté,

Ou dit à ton aimée quel était ton dessein ?

Pyrène en se levant crut son amant quitter

A jamais le logis, de son cœur assassin.

 

 

Le désespoir éteignit l’âme de la belle

Pensant avoir perdu sa vertu, son amour,

Que dire à une enfant quand s’éteint la chandelle

De la flamme de vie ? Abominable jour !


 



Ivre de désespoir, Pyrène vacilla,

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Quitta en larmes le palais de son enfance.

Jeune louve blessée plus jamais n’égailla

Le palais de son père, qui perdit son engeance.

 

 

Errant sur la lande, la louve pénétra

Dans l’antre réputée des grands ours bruns. Sauvage :

La forêt l’engloutit, et le cri d’un tétras,

Fut le glas endeuillé d’un désolant hommage.



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Il fallut bien un tel héros de si bleu sang

Pour la trouver si vite. Ce ne fut que pour,

Hélas ! Recueillir l’ultime souffle glaçant

De la vie qui s’en va, de la mort qui accourt.


 

« Pyrène, Pyrène, que n’ai-je pu, mon âme

Protéger tes jours du chagrin qui t’a perdu !

Et ta peine est la mienne, cette cruelle lame

Que tu plantes en mon sein c’est moi qui l’ai conçue !

 

 

 

 

 

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Maudit, jour qui vit l’aube de ta grande nuit !

Pour expier ma faute, racheter mon absence, 

Je mettrai mon ardeur à te faire un étui,

Un écrin ultime riche de ta présence.

 

 

Je te bâtirai le plus grand des mausolées.

Un tertre si fameux, tutoyant les nuages,

Apollon chaque jour pourra t’auréoler,

Phare austère, guide des amants dans les âges ! »




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Hercule silencieux amassa les rochers

De la tombe. Travail qui dura dix années.

A la fin du labeur ses larmes arrachées,

Baptisèrent un tombeau qu’il nomma Pyrénées.


 


V

 

Ami,

Comprends-tu maintenant le muet désespoir

Du berger mélodieux rêvant de conquérir

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Celle qui en Ariège, endormie dans le noir,

Ne pourra jamais plus apaiser, adoucir !

 

Visite donc la chère muse qui sans doute

S’ennuie un peu dans son austère et gris caveau.

Dépose auprès d’elle une chanson, sous la voûte,

Lui montrant que son âme inspire nos travaux ;


 

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Et que son rire clair résonnera encore...

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 
 
 

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