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Le bruit du silence

Le soleil se lève et nos deux amis quittent la ville. Les paysages défilent dans le grésillement sourd du moteur et le balbutiement de l’auto radio nécessairement trop vieille. L’un conduit sagement et retient par efforts ses lourdes paupières, l’autre termine son rêve avorté bien trop tôt par un lever matinal.

La veille, le plan de guerre fut exposé ; notre prochaine aire de jeu sera le Val d’Aran et ses chapelles romanes nichées à flanc de montagne. Une petite province ibérique satisfaite de ses habitants chaleureux et de leurs coutumes anciennes qui semblent naître dans la rosée des prés et le crépitement d’un feu de bois rougeoyant. Ici-bas, la vie est plus simple, mais plus profonde et les contacts extérieurs sont évités de peur de froisser cette toile séculaire.


L’ascension commence au Saut deth pish, cascade majestueuse située à 1552 mètres d’altitude. L’eau y semble couler depuis la nuit des temps, une certaine mythologie s’en dégage. Ils contemplent, admiratifs devant ces féeries et embrassent la cascade une dernière fois : il faut monter.


La première étape se situe au Coth de Varrados, un col à 2049 mètres. Cette découverte est fantastique. Le chemin forestier pour y parvenir est protégé par une voûte d’arbres azurs et cuivres que viennent illuminer les rayons du soleil. La nature joue, danse et compose au gré de la saison automnale et des volutes de feuillus et résineux qui habillent la soulane. Cette jolie tranquillité n’est dérangée que par la cadence imposée par nos amis marcheurs pour atteindre le sommet avant le déclin du jour.


L’arrivée au col se fait sans encombre. Heureusement, le ciel se dégage et promet un beau spectacle au sommet. Aucune personne n’est présente. La nature semble opérer sa traditionnelle sélection : ses réjouissances ne sont pas ouvertes à tous. On pourrait croire à un vide, ils voulaient croire autrement.


Un frais bout de pain et son fromage composera le repas des aventuriers avant de repartir, plus rêveurs que jamais et en quête d’altitude.


Consciencieusement, nos marcheurs escaladent le géant. Aucun chemin n’est à suivre, aucun n’est présent de toute façon et c’est sans doute mieux ainsi. Des isards fuient à leur vue et s’agitent dans ces pierriers gigantesques tels des maestros. Une tache brune et vivante dans un désert gris et mort, voici la beauté qui s’éveille au fil des mètres. L’un des deux compagnons s’appuie sur son bâton, prolongement assuré de son bras pour faciliter l’aventure, et son cliquetis sur la roche résonne dans toute la vallée silencieuse. L’autre s’arrête et pense déjà à la manière dont il retranscrira ses impressions dans une prochaine lettre. Il essaye de capturer ces montagnes, une fois pour toute, avant de découvrir l’autre côté de la vallée à l’acmé de l’ascension. Le côté Ouest forme un cirque rocheux qui accueille trois lacs bleus, tournés vers la Bigorre et son pic fièrement dressé. Le côté Est, le plus aride, est tourné vers l’Ariège, terres hostiles et rudes des Pyrénées. Ces deux mondes n’attendent que l’union faite par le marcheur, c’est-à-dire l’artiste, sorte de noce merveilleuse.


Leurs corps éprouvés arrivent au sommet mais leurs âmes sont déjà bien plus hautes. Le décor est délicieux. On distingue la plaine du Comminges au Nord et la barrière rocheuse de la Maladetta et du Pico Aneto au Sud. Les voilà au centre du monde. Le temps de sentir la présence d’absolu, loins des tourments humains et d’écouter le bruit du silence.


Le travail est accompli. Le vent creuse une dernière fois les traits rudes et fatigués des deux amis qui songent déjà à leur prochaine expédition. Le soleil peut maintenant se coucher.


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